Le « Traité complet de l’anatomie de l’Homme » de Jean-Marc Bourgery et Nicolas-Henri Jacob est un monument de l’anatomie illustrée du XIXe siècle. Bien que Jean-Marc Bourgery ait signé le discours préliminaire du huitième et dernier tome, cet ensemble éditorial a été achevé après sa mort, survenue en 1849. D’une ambition démesurée, l’ouvrage avait consommé toute l’énergie de cet illustre anatomiste. Dans ce texte, qui résonne comme un testament, il se désole de n’être pas suffisamment reconnu, alors qu’il a consacré son œuvre et toute son existence au service de la Science et de l’Humanité.

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« Et maintenant, sur le point de terminer mon travail donc je possède tous les matériaux, rapprochant ce que j’ai fait de ce que je m’étais proposé de faire, puisse le public reconnaître que je n’ai pas failli à ma tâche comme la fortune a menti aux succès qu’un homme supérieur m’en avait prédits. Hélas ! Cuvier jugeait du cœur et de l’intelligence des autres par les siens propres. Mais tout le monde a-t-il le cœur et l’intelligence du Cuvier ! Avec lui j’ai tout perdu. Au lieu de cette heureuse carrière qui lui avait souri pour moi, qu’ai-je trouvé ? Des dégoûts, des obstacles, des intrigues, une ligne occulte de répulsions tenace. Depuis 20 ans que je travaille sans relâche, je n’ai pas à me reprocher de ne m’être point aidé moi-même. J’ai fait tout ce qui était honorable pour arriver à quelque chose. Je me suis produit partout où je l’ai pu. Mais c’est en vain. J’ai vu passer tout le monde devant moi, et ceux qui avaient quelques droits et ce surtout qui n’en avait pas. Ayant tant à dire sur une science que j’avais tant travaillée, il me semblait qu’il devait y avoir place pour moi quelque part : mais non.
Académies, Facultés, Collèges de haut enseignement, je me suis présenté partout : partout où il y en avait toujours d’autres à produire. Deux faits résument tout : aujourd’hui, après vingt ans, je ne suis rien et je n’attends plus rien ; mon nom même n’est cité dans aucun des livres modernes, quoique beaucoup d’entre soient faits avec le mien. J’en ai fini de cette révélation singulière : c’est le cri de vingt ans d’oppression qui m’échappe. Aussi bien je donne mon exemple à fuir, s’il se trouvait quelque imprudent prêt à se laisser séduire, comme je l’ai fait, par un amour inconsidéré de la science. Au moins il apprendrait de moi que le travail consciencieux ne mène à rien. Qu’on me pardonne cette plainte ! C’est la première, ce sera aussi la dernière. Je reprends. »
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