– Attends, qu’est-ce que tu as fait ? Des dissections ? Je croyais que tu faisais des études d’art ?
– Oui, mais je suis en Didactique visuelle, on a un cours de Didactique médicale… Je te l’ai pourtant déjà dit ! C’est dans le cadre de ce cours que nous sommes parties en Belgique pour assister à des dissections, mais seulement en tant qu’observatrices.
– Ah oui, la Didactique médicale… tu m’avais parlé de ça. C’était une dissection humaine ?
– On a assisté à des dissections d’animaux dans une école vétérinaire le premier jour. Puis une jambe humaine et un bras humain le deuxième jour.
– Alors, comment c’était ? J’ai une amie en médecine qui m’a parlé de sa première dissection, ce n’était pas forcément une partie de plaisir…
– Non clairement. Je crois que le pire c’était l’école vétérinaire. Nous sommes arrivées tôt le matin durant un cours de travaux pratiques, et en ouvrant les portes de la salle, on a été prises par une odeur nauséabonde. Les étudiants étaient autour des tables et nous dévisageaient avec circonspection. On ne s’est pas senties très à l’aise. Sur les tables, il y avait des chiens éventrés de toutes les races, posés en vrac. J’avais mis de l’huile essentielle de menthe dans mon écharpe et je la tenais près de mon visage comme un masque. Mais même comme ça, je n’ai pas pu rester très longtemps dans la salle. Les étudiants vétérinaires eux n’avaient pas l’air gênés le moins du monde. Ils riaient et discutaient tranquillement.
– Peut-être que pour eux, se montrer faibles ou troublés par une telle situation montrerait qu’ils ne sont pas faits pour leur futur métier. Ainsi, ils prennent de force une posture décontractée ?
– Ah ça, c’est possible ! Ou bien ils étaient habitués, vraiment je ne sais pas. Enfin bref, nous avons passé la matinée à dessiner du mieux que l’on pouvait. La pause déjeuner est arrivée, et je l’ai passée avec d’autres étudiantes de ma classe près des toilettes, car à cet endroit au moins, l’odeur de mort était couverte. Oui, ce n’est pas très glorieux, et malheureusement il pleuvait dehors. L’après-midi, je n’ai pas pu y retourner, je n’ai pas eu le courage. J’ai passé mon temps à arpenter les couloirs de l’école et à dessiner les squelettes d’animaux exposés en vitrine. J’avais l’impression d’être dans un musée d’histoire naturelle.
– Tu n’as pas l’air d’avoir tiré grand-chose de cette journée alors ?
– Ah si ! La ferme conviction que devenir vétérinaire ce n’était pas pour moi ! J’ai pu produire pas mal de dessins aussi. Ce que j’attendais avec impatience, c’était la dissection du bras et de la jambe, le lendemain. J’ai travaillé en Didactique médicale sur le système cardiovasculaire et j’avais des questions à poser aux médecins. Cette dissection m’a beaucoup aidée pour mon projet trimestriel dans cette matière, car j’ai pu poser mes questions dans un anglais très approximatif et faire des dessins légendés. C’était très difficile de dessiner de la chair ouverte. En fait je m’attendais à voir des muscles et des fibres musculaires bien visibles. La réalité était tout autre : il y avait une multitude de textures et de couleurs vives très différentes. La peau de la main était très blanche le matin et elle a beaucoup noirci le soir. J’évitais cependant de m’attarder dessus, car la regarder me rendait très mal à l’aise. C’était une partie du corps encore facilement reconnaissable, au contraire de cet amas de chair qu’était devenu le bras disséqué. Le médecin nous a proposé de manipuler les tendons de la jambe. Je me suis exécutée : j’ai tiré sur un tendon, le pied a bougé du fait de mon geste. J’ai passé le reste de la journée au fond de la salle pour me remettre de cette vision.
– Heureusement que tu n’as pas fait médecine.
– Je suis bien d’accord !