Le chirurgien qui a commencé la dissection de la main nous parle en anglais. Une dizaine de personnes sont pressées autour de la table, épaules contre épaules, le cou tendu, parfois sur la pointe des pieds ; le moindre centimètre cédé est un territoire perdu.
« Rapprochez-vous, je vais vous montrer quelque chose d’intéressant. »
À ces mots, le groupe se referme encore un peu plus. Ma voisine me marche sur les pieds, s’excuse.

Depuis ce matin, nous observons les chirurgiens disséquer une jambe, un bras, un cœur et une paire de poumons. J’ai du mal à regarder, du mal à dessiner, à distinguer les structures au milieu des couleurs, des textures, des odeurs. Moi qui avais toujours voulu savoir à quoi ressemblerait de la viande humaine, me voilà renseignée.

Je chasse cette pensée de mon esprit en fronçant les sourcils et focalise ce qui me reste de concentration sur les explications du chirurgien qui vient d’extraire les tendons de l’index.
Ce sont les tendons fléchisseurs. D’abord, on n’en voit qu’un, le tendon fléchisseur superficiel ; le chirurgien tire dessus avec sa pince ; le doigt se plie au niveau de la première phalange. C’est amusant, mais jusque-là, rien d’extraordinaire.
C’est alors qu’il sort le reste du tendon et devant ce que je vois, je ne peux m’empêcher de pousser un peu ma voisine afin de me rapprocher.
Le tendon qu’il vient de sortir se sépare un deux et forme une boucle, dans laquelle passe le tendon fléchisseur profond. C’est une boucle parfaite, ni trop grande, ni trop petite, comme le chas d’une aiguille dans lequel passerait un fil.

Le chirurgien, qui s’amuse déjà de l’émerveillement qu’il commence à susciter, tire sur le second tendon ; celui-ci entraîne le premier, et toutes les phalanges du doigt se replient. Des « Oh ! » et des « Ah ! » viennent récompenser ses efforts.

Je pense aux marionnettes, aux gens qui ont creusé des trous dans la tête des aiguilles pour y passer un fil pour la première fois, sans se douter qu’à l’intérieur des doigts qui les utilisaient, se trouvait le même type de mécanisme. La veille, l’un des participants, un écrivain, a tenu à discourir sur la perfection de l’anatomie comme preuve de l’existence de Dieu. Je n’en suis pas là, loin s’en faut, mais suis tout de même très impressionnée.